Il est malheureusement de plus en plus admis par les étudiants de matières scientifiques que la philosophie y est inutile. Ainsi les bacheliers français de mathématiques-sciences se plaignaient-ils en juin 2015 de l’obligatoire épreuve de philosophie. Ainsi en Belgique le cours de philosophie pour les études de médecine à l’université est-il devenu depuis déjà bien longtemps une simple option, remplaçable par un cours de math.
Et pourtant. Et pourtant, oui, à l’heure où 1000 (mille) scientifiques de tous milieux viennent de signer une lettre ouverte appelant à l’interdiction des « robots-tueurs », cette nouvelle arme dérivée des recherches en IA (Intelligence Artificielle) qui pourrait voir le jour d’ici moins d’une décennie, une question qui n’est autre que de l’ordre du philosophique se pose : tout ce que je sais faire, puis-je le faire ?
La question de la différence nécessaire entre savoir-faire et pouvoir-faire qui relève de l’éthique, donc de la philosophie. Une question dont nous avons malheureusement appris que l’humanité ne se la pose jamais. Historiquement parlant, jusqu’ici, dès que quelque chose a su être fait, elle s’est faite ; et cela que ce soit bon ou mauvais pour l’humanité.
Ainsi avec la fission nucléaire et la radioactivité. Sur papier, théoriquement, on savait détruire des villes entières et leurs populations. Rien, personne, aucune mobilisation, n’a pu empêcher que l’on passe du « je sais que je sais le faire » à « je sais le faire donc je le fais » : Nagasaki et Hiroshima en témoignent.
Le pire étant que l’utilisation de telle ou telle technologie (ici la bombe nucléaire) n’a pas été décidé par les scientifiques eux-mêmes, c’est-à-dire par des gens plus intéressés par les équations que par Platon, mais bien par des dirigeants politiques censés avoir, justement, une formation en philosophie.
D’où la nécessité d’une conscientisation en amont des décideurs. C’est-à-dire des scientifiques eux-mêmes. Je dirais qu’il ne sert absolument à rien d’apprendre la désobéissance civile à des militants pacifistes ; par contre ce serait très intéressant pour ceux qui sont à des postes clefs des secteurs recherche et développement des entreprises et universités.
Un scientifique ne doit pas se contenter de faire de la science, un chercheur de la recherche, un développeur du développement, mais ils doivent eux-mêmes, et eux seuls car nous l’avons vu personne ne le fera à leur place, se poser la question « dois-je me limiter dans mon activité sachant que cela permettrait de savoir faire ceci et que tout ce qu’on sait faire est fait ? ». Tout comme la question de l’autocensure se pose aux auteurs, la question de l’autocensure doit se poser au scientifique.
En tout cas tant que nous vivrons dans un monde où des gens pourtant éduqués à la philosophie estiment que tout ce qui sait être fait peut être fait et, même, doit être fait !
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